Le 21 juin dernier, trois orateurs, - issus du monde académique, du monde privé et des pouvoirs locaux -, ont abordé la thématique des « Digital Twins » (jumeaux numériques). Les participants de ce dernier Smart Lunch de la saison 2021-2022 ont bénéficié d’explications claires sur cette technologie dynamique, son utilisation, ses avantages, ses applications et son avenir !
Pour nous familialiser avec le concept de jumeau numérique, Monsieur Gilles-Antoine Nys, doctorant en géomatique à l’ULiège a d’emblée annoncé que les concepts de jumeau numérique, d’une part, et de Smart City, d’autre part, étaient à bien distinguer. Si une Smart City est un espace où des modèles traditionnels et des services sont optimisés à travers l’utilisation de solutions numériques, lesquelles ont des avantages pour les citoyens et les entreprises, la ville intelligente relève plus de la gouvernance et d’un but en soi, tandis que les digital twins sont la réponse technique à cet enjeu de gouvernance.
Précisant également que plusieurs visions du jumeau numérique coexistent, M. Nys a présenté la définition de la multinationale IBM, laquelle indique qu’un jumeau numérique est une représentation virtuelle d’un objet ou d’un système durant son cycle de vie qui est mise à jour par des données en « temps-réel » (ou proche du temps réel) et qui utilise des données de simulation, de machine learning ou du raisonnement, et ce pour aider à la prise de décision. Le jumeau va en fait approximer, représenter le mieux possible une réalité dans le monde réel.
Pour ce qui est de l’ « Urban (ou City) Digital Twin », aucune définition claire ni d’éléments constitutifs de base n’existent encore réellement aux niveaux national et international. La définition de l’unité géomatique de l’ULiège, dont fait partie M. Nys, précise qu’il s’agit d’un système de systèmes : le premier système (un système d’informations géographiques) est un socle intégrateur d’autres sortes de systèmes. Comme toute infrastructure de données spatiales, différents niveaux co-existent et ce sont ces différents niveaux qui caractérisent le digital twin. Chaque partie de cette infrastructure va pouvoir être interopérable afin que le système de base intègre le plus de systèmes possibles, que ces systèmes communiquent entre eux, et qu’on aboutisse à un processus de décision.
Différentes phases sont à l’œuvre : tout d’abord l’import de tous les sous-systèmes dans le système, la modélisation dans un second temps et puis, dans un troisième temps, la définition des applications qui sont des couches/des systèmes qu’on rajoute au système de base. On compte aussi une phase de maintenance et de stockage. Enfin, une fois que tout est intégré, on veille à rendre cela disponible pour tous les autres utilisateurs et/ou les citoyens, à
travers la phase de publicité de l’information structurée.
M. Nys a enfin indiqué que l’utilisation du terme Digital Twin est actuellement un peu abusive : un « vrai » Digital Twin devrait pouvoir partir du modèle urbain numérique [city model / digital world] et avoir une influence sur le monde réel [actuateur] (en opposition au Digital Shadow [senseurs par exemple]). Ce à quoi on aboutira dans un horizon de dix ou quinze ans.
Une fois n’est pas coutume, l’inspiration des pouvoirs locaux nous est venue de France. Christelle Gibon, Responsable Projets Innovants de Rennes Métropole, a expliqué la démarche de la métropole bretonne quant aux jumeaux numériques. Pour Rennes, le jumeau numérique permet de décrire, représenter, analyser et modéliser les fonctionnements urbains.
La volonté était d’aborder le territoire dans une approche systémique, en ajoutant des données (de mobilité, de qualité de l’air, de démographie, …) sur une maquette 3D. On a associé à cet ensemble de données des outils d’exploitation et de coopération pour aider à la décision.
Cette notion de jumeau numérique est en réalité le fruit de vingt années de travail au cours desquelles on a utilisé une maquette 3D du territoire pour des usages grand public (communication territoriale) puis, progressivement, on a glissé sur des formes de concertations urbaines. Madame Gibon dit s’être rendu compte que la maquette 3D était un déclencheur de débat qui favorisait l’engagement des citoyens. De là sont nées des promenades urbaines, des dispositifs ludiques pour des publics plus jeunes (RennesCraft) pour initier à l’urbanisme, … La maquette favorisait par ailleurs le développement économique et l’attractivité du territoire (lors de la visite de délégations, de salons, …) mais aussi la décision grâce à la modélisation des fonctionnements urbains (modélisation du bruit, simulation de la crue centennale, …) et à la simulation des effets des politiques publiques pour éventuellement les ajuster.
Parallèlement à ce socle que constitue la maquette 3D, il y a eu un contexte d’ouverture des données territoriales à Rennes Métropole. En 2010, l’open data à Rennes Métropoles est lancé. Et, en 2016, l’arrivée de la loi pour une République numérique, qui introduit la notion de donnée d’intérêt générale [Au-delà de la donnée publique, il y a de la donnée privée qui présente un intérêt environnemental, social, économique et cette loi lançait l’idée d’ouvrir ces données d’intérêt général], a orienté la réflexion de Rennes Métropole sur l’organisation de cette donnée d’intérêt territorial autour d’un service Public Métropolitain de la Donnée. Dans un objectif du partage de ces données territoriales pour enrichir les différents projets et le jumeau numérique.
Ce service public Métropolitain de la Donnée s’est lancé en 2016 avec un volet « données publiques » (Data RM) mais aussi un écosystème territorial à organiser (DatAgora), de gouvernance juridique et pour fédérer les acteurs autour de règles communes, et, enfin le portail RUDI qui est le pendant opérationnel de ce service Métropolitain avec le développement d’un portail de partage de données territoriales pour les usagers, les producteurs de données, les citoyens et les porteurs de projets. La chaîne de traitement de la donnée (avec des questions d’anonymisation, de gestion des consentements qu’elle soulève) a ainsi été étudiée en profondeur.
Vient ensuite la question de l’outillage : comment produire des services en cette fin de chaîne de traitement pour favoriser la coopération et éclairer les politiques publiques de transition écologique et démocratique ? Comment répondre à ces enjeux ? Selon Madame Chambon, la visibilité des données du territoire est la clé. À travers le jumeau numérique, la volonté de Rennes était de rendre intelligible la donnée du territoire pour tous les acteurs, mais surtout les citoyens. Grâce, d’une part, à des techniques de data science pour modéliser les systèmes urbains et, d’autre part, à des fonctionnalités de collaboration, Rennes a pu favoriser la coopération et apporter de l’information pour éclairer les décisions et les politiques publiques.
Rennes Métropole a mené une démarche incrémentale avec une première expérimentation durant 4 ans d’une plate-forme collaborative (de Dassaut Systems) : la 3DEXPERIENCity Virtual Rennes : initialement destinée au monde de l’industrie initialement, la plateforme a été utilisée par Rennes pour aider les métiers de l’aménagement de la métropole. Elle a apporté de l’aide au pilotage et à la coopération des projets d’aménagement (gestion de projets, dashboard) avec l’idée sous-jacente que le jumeau numérique fédère les acteurs de l’aménagement. La plateforme a aussi contribué à modéliser les fonctionnements urbains et à évaluer les politiques et services publics.
Dans un second temps, la plateforme a aussi été ouverte à l’écosystème des entreprises sachant qu’il y aurait forcément besoin de fonctionnalités spécifiques. C’est pourquoi un appel à projets a été lancé aux entreprises pour tester différents apports sur ce jumeau numérique.
La phase actuelle de cette expérimentation est le déploiement opérationnel et le fonctionnement par cas d’usage et par phasage. Trois cas existent actuellement : le premier est le cadastre solaire, à travers lequel Rennes entend inciter les citoyens à s’équiper en panneaux photovoltaïques – le second est la concertation sur un projet de trams/bus pour apporter de l’informatique systémique aux habitants et leur faire donner leur avis – le troisième est une interface sur la 5G qui rassemble les informations sur les équipements et sur les expositions en valeurs mesurées).
Le dernier orateur, M. Thierry Chambon, Responsable Partenariats chez Loamics, s’est enfin concentré sur les apports du fonctionnement d’un jumeau numérique, en comparaison aux systèmes classiques.
La caractéristique que retient avant tout Loamics du jumeau numérique est que les données sont bidirectionnelles/multidirectionnelles : les données produites alimentent le jumeau numérique qui va lui-même alimenter d’autres sources de données et fournir des informations sur la première source de données. C’est cette boucle qui est importante dans le jumeau numérique.
Le digital twin crée en fait un système de supervision global des assets virtuels rassemblés et enrichis des informations et permet de synchroniser opération et décision. On peut aussi obtenir une multitude de persona, c’est-à-dire des personnes qui vont agir/travailler différemment avec le même streaming de données.
Deux éléments sont d’ailleurs capitaux pour le fonctionnement d’un jumeau numérique : la notion d’asset (actif), tout d’abord, qui peut être une source de données (ou plusieurs) comme le fonctionnement d’une chaufferie, le fonctionnement d’une chaufferie d’un immeuble, voire d’un groupe d’immeubles. Tous ces exemples constituent des assets, lesquels peuvent se combiner. Dans un jumeau numérique, on peut créer un nombre d’assets infini et se concentrer très spécifiquement sur certains aspects. Cette vue multi-assets permet en outre l’intégration de l’IA ou du Machine Learning.
Autre élément primordial : l’ontologie de la donnée (étude du lien entre données). Ce lien doit pouvoir apparaitre dans le jumeau numérique mais aussi être changé aisément (suppression d’une donnée et/ou remplacement d’une donnée par une autre). Grâce aux jumeaux numériques, on peut modifier l’ontologie et étudier comment les choses fonctionnent.
Pour utiliser un jumeau numérique efficacement, il faut pouvoir être capable de travailler sur les stimulis d’entrée pour ensuite choisir la meilleure configuration en fonction des cas de figure. On peut même aller plus loin et garder des historiques des tests réalisés grâce aux jumeaux numériques, lesquels garantissent une amélioration permanente. Les jumeaux numériques sont d’ailleurs très intéressants en termes de pédagogie puisqu’ils peuvent montrer instantanément les conséquences d’un changement.
Le jumeau numérique crée en fait un système de supervision dynamique, multi-personas (gestionnaire des flux, superviseur/décideur, exploitation/opérations) : il crée dynamiquement des nouvelles datasets de métier et de l’interopérabilité à la manière no-code.
Loamics propose un système multidirectionnel au sein duquel, quelles que soient les sources de données qui rentrent, ces dernières vont pouvoir être analysées et/ou stressées, aboutir à un résultat, lequel va lui-même retourner dans le jumeau numérique. Cela s’utilise dans les Smart Cities, dans l’industrie, dans le Smart Building. Les données des Smart Cities sont, d’après M. Chambon, hétérogènes et représentent véritablement l’avenir du jumeau numérique. Selon lui, chaque acteur de la Smart City travaille encore de manière trop indépendante mais les jumeaux numériques contribueront à renforcer la collaboration entre acteurs de la Smart City !
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